De 1981 à 1987, nous avons fouillé un site tout à fait inédit : le Couloir des Eissartènes (Le Val). Il s’agit d’un petit plateau en pente ayant servi d’implantation à quelques habitations à l’Age du Fer. Le nom du site vient de ce qu’un couloir naturel entre deux arêtes rocheuses, en pied de falaise, a servi plus ou moins volontairement de "poubelle" à ciel ouvert : 7m au moins d’épaisseur de déchets organiques et d’objets cassés. C’est cette zone qui a restitué le plus de documents archéologiques, datés de la fin de l’Age du Bronze au début de la deuxième partie de l’Age du Fer, plus une occupation du site à la fin de l’Antiquité.
Nous avions terminé les travaux mais conscients de laisser au milieu du couloir lui-même un sondage large et profond, nous avions demandé une dernière autorisation de fouilles : pour rectifier la coupe stratigraphique de référence, pour la préserver avec un muret de pierre sèche et pour combler la fosse. C’était à Pâques et quelques lycéens, fidèles des chantiers et amis de l’ASER, étaient venus se joindre à nous.
Ce devait être le dernier jour, comme toujours en pareil cas quand Sylvain signala soudain et bien fort la découverte d’une monnaie. Personne ne le crut. Six ans que nous fouillions des lieux que nous avions qualifiés de « pauvres » ! Quelques secondes plus tard, Marc perçait le silence : « une autre ! ». Puis une autre encore. C’est ainsi que nous découvrîmes le fameux trésor des Eissartènes. Certes, il s’agissait d’un très petit trésor si l’on considère le nombre de pièces, 45 au total, mais il y avait parmi celles-ci trois monnaies en argent, très peu usées, à l’effigie de Constantin.
Redescendus à notre local, nous téléphonions immédiatement au seul numismate dont nous appréciions l’érudition et l’éthique : Robert Biancotti. Sur le coup, il crut à des monnaies d’argent de Constantin Ier et il tiqua mais ‘Ada restait ferme : « non, il y a d’autres barres : on dirait plutôt Constantin III ». Robert Biancotti vint sur le champ. Les fouilleurs, qui pourtant le connaissaient bien, ignoraient l’étendue de ses connaissances numismatiques. Lorsqu’ils comprirent pourquoi nous lui avions téléphoné en priorité, ils attendirent « le Maître » comme ils disaient. Ils lui préparèrent même une canette de bière à côté des monnaies soigneusement disposées sur une assiette plate. Il arriva et comme tout chercheur qui découvre une chose inusitée, il ne sut que dire : « alors ça !, alors ça ! » Les pièces de bronze étaient assez vilaines pour la plupart mais les trois siliques d’argent avaient à peine circulé et étaient bien à l’effigie de Constantin III … qui ne fut jamais empereur.
La première et nécessaire information pour ce type d’objet était le poids des monnaies. Nous demandâmes son aide au pharmacien du Val. André Nal fut particulièrement surpris mais rendez-vous fut pris pour le lendemain et après fermeture de l’officine, les pièces furent pesées, une à une, sur le trébuchet. Elles furent ensuite remises à Robert Biancotti et commença alors, pour lui, une difficile expertise pendant de longues soirées. Des contre-expertises eurent aussi lieu à la société de numismatique de Draguignan afin de multiplier les avis. Nous venions régulièrement aux nouvelles et apprenions progressivement la présence d’une monnaie à l’effigie de Théodose Ier ou de Flavius Victor. et bien sûr, l’épopée de Constantin III : sa présence en Grande-Bretagne, ses succès militaires en Espagne, sa conversion à la foi chrétienne en Arles (une silique porte d’ailleurs une croix latine), sa progression vers Rome pour se faire acclamer empereur et sa défaite en Italie du Nord par les troupes d’Honorius.
Pendant ce temps, ‘Ada reprenait l’étude du mobilier céramique trouvé au même niveau que le numéraire : des précisions chronologiques étaient possibles. Un article relatant cette découverte était envisagé pour la Revue Archéologique de la Narbonnaise. Restait à photographier les monnaies. Philippe contacta Roland Rouziès, membre de l’ASER et photographe lors des chantiers d’étude de l’ASER. Il travaillait dans un grand laboratoire de développement, à la Courneuve. Autorisation nous fut donnée pour utiliser le matériel professionnel de l’entreprise. La couverture photographique des 45 monnaies nous occupa une nuit entière, après la journée de travail de Roland. Philippe revint avec les précieux et impeccables clichés.
Quelques semaines plus tard, l’article fut envoyé. Il fut relu par le comité de lecture de la Revue et il nous fut demandé d’envoyer de meilleurs clichés. La raison ? : si l’expertise des monnaies était à ce point correcte, sans doute les photographies n’étaient-elles pas assez claires pour restituer les détails observés par le numismate. Il fallut expliquer l’ensemble des étapes de mise en place de l’article pour convaincre le comité que les photographies étaient aussi pertinentes que l’analyse numismatique. Et l’article fut accepté et publié dans le tome 23 de la Revue Archéologique de la Narbonnaise.
Référence : 'A.Acovitsioti-Hameau et R.Biancotti, 1990, Un trésor monétaire du V ème siècle ap. J.C. au Couloir des Eissartènes, Le Val, Var -Revue Archéologique de la Narbonnaise, tome 23, pp. 237-254
Philippe Hameau